martes, 1 de julio de 2008

La terrasse

Dans mon quartier de maisons basses, le bâtiment d’en face était le seul qui dépassait les autres.

Trois étages du mastodonte immense et horrible construit à grands efforts par la famille Fasio.

J’aidais Anibal, le fils majeur et mon meilleur ami de ses années-là, dans ses tâches de maçon.

Mon objectif était qu’il se libère rapidement de la dure besogne qui s’imposait à lui quotidiennement pour qu'il pût venir jouer chez moi, dans le fond du jardin.

Cet édifice a été très important dans mon enfance.
Là, j’ai connu le travail pour la première fois et dans ses détours à moitié construits, j’ai spéculé avec Anibal sur les secrets de l’amour, les femmes et la vie.

Je suis tombé amoureux pour la première fois dans la vie d'une fille du quartier et j’ai appris beaucoup d’autres choses.

Comme j’étais presque de la famille, je rentrais dans la maison des Fasio à n’importe quel moment, même quand mon ami n’était pas là, je m’asseyais sur une chaise près de la bibliothèque, et je me submergeais dans les volumes de l’encyclopédie britannique que personne regardait, à part moi.

Encore maintenant, je garde le souvenir quasi intacte des nombreuses lectures de cette époque.

L’univers, les hommes célèbres, la chimie, les étoiles, tout était quelque chose de délicieux, je le dévorais même sans comprendre beaucoup de ces paroles.

Dans l’appartement dévasté, au milieu du chaos de cette famille de six frères, je m’isolais et je jouissais avec le mystère.
J’ai cru soupçonner quelques unes des clés secrètes. Peu importait la réalité. Du moins ce qui s’entendait habituellement par réalité.

Une muse évanescente me montrait les voiles qui couvraient sa beauté. Et il me semblait qu’elle faisait le geste d’en enlever.

Moi, je croyais et c’était le plus important.

Savoir. C’était la consigne.

Mon père n’était pas étranger à cette obsession. Il obtint d’une quelconque manière, qu’elle fût mienne aussi. Du moins l’une d’elle.

Et j’étais là, à dévorer l’impénétrable. Essayant par tous les moyens de retirer des voiles à la beauté. Mais ce que j’ai aimé par-dessus tout de cet édifice, a été sa terrasse.

C’était la porte ouverte au ciel, c’était mon observatoire de l’au-delà. Il est pour moi impossible de me rappeler, et encore moins de quantifier, les heures que je passais accroché au mur qui me protégeait du vide en regardant l’horizon.
Cette ligne indéfinie, indéfinissable.
Magique à n’en plus pouvoir.

L’horizon n’était pas seulement ce mélange diffus de contours, de protubérances et de couleurs. C’était l’essence de tout. C’était ce qu’une fois sera. C’était la promesse, l’objectif, le rêve.
Et par dessus tout, le désir.

Voyager, m’en aller très loin. Connaître tout ce que la distance impossible à mesurer promettait. La distance du monde, et ma distance.

L’horizon c’était ça et c’était moi. On formait une même chose.

Je l’ai tellement aimé comme on aime une femme impossible, qui existe seulement en soi.
Tant comme la languide rumeur d’un avion qui s’éloignait dans l’après-midi.
Cette rumeur de ces années-là, avec moins de turbines et plus d’hélices qu’aujourd’hui. Ce ronronnement lointain qui me transportait vers une autre dimension. Ces mystérieux navigateurs du ciel allaient vers l’horizon.

Vers mon horizon.

Je les suivais avec le regard jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Mon rêve les accompagnait.

Plusieurs fois, je me réveillais au milieu de la nuit avec ce bruit dans les oreilles ou avec la sirène lointaine des locomotives diesel du chemin de fer Sarmiento, qui roulaient vers le centre de la grande ville que je ne connaissais presque pas mais que j’imaginais.

Les années de cette enfance se sont écoulées mais ma passion pour la terrasse, non. Je montais là, même quand adolescent, la vision s’était étendue un peu plus loin.

Le ciel blanc d’étoiles, dans les nuits chaudes et silencieuses de l’été, complétait l’horizon des soirées.
L’abîme noir et ses mystérieux mouvements nocturnes me faisaient rêver autant que l’horizon.

Mais c’étaient des rêves d’un autre caractère.

Pendant que l’horizon m’appelait et me racontait des choses de ma vie à venir, la phosphorescente noirceur du ciel se référait à quelque chose que j’avais peut-être été mais que je devais découvrir.

Tout était là. L’avant et l’après.

Et au milieu, mes yeux avides et mon cœur à battre à tout rompre dans ma poitrine.

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